çais du roman noir
Von Claire Gorrara

Introduction
Il est souvent question de l'influence, voire la domination, du prototype américain du roman noir en France. Aujourd'hui on reconnait l'importance de Léo Malet qui a inauguré le roman noir français avec 120 rue de la gare, publié en France pendant les années noires de guerre et d'occupation. Mais on a tendance à citer son exemple et de passer sous silence des écrivains qui avaient pris le relai à la fin des années 40. Ces premiers auteurs français de l'après guerre sont souvent considérés comme de simples imitateurs des grands maitres américains, ni plus ni moins. Mais, je voudrais ici plaider en faveur d'une vision plus complexe de ces premiers romans noirs français de l'après guerre. En analysant les 3 premiers roman écrits par des français dans la Série Noire, série emblématique du noir en France, j'espère montrer que ces auteurs, Terry Stewart et John Amila, n'avaient pas simplement adopté un modèle américain. Ils l'avaient reformulé pour mieux représenter des préoccupations françaises. Leurs romans affrontent des cauchemars du passé récent (la guerre, la souffrance, la mort) avec un oeil bien français et nous rappellent des conflits sociaux et politiques qui allaient marquer la France pour des décennies à venir.

Le contexte social et littéraire
Après 4 ans de pénurie pendant l'occupation, l'invasion des produits de consommation américains était accompagnée bien sur par l'arrivée des produits littéraires et culturels. Parmi ceux-ci, il y avait ce qu'on nomme aujourd'hui le roman noir. A l'époque, c'était la génie du Marcel Duhamel, traducteur et surréaliste chez Gallimard, d'avoir compris que ces romans divers américains et britanniques mettaient en scène des thèmes et des personnages qui pourraient être regroupés sous la rubrique du noir, roman noir. En partant de ces aspects communs, Duhamel a créée une identité collective pour un nombre de romans et romanciers qui n'étaient pas forcément reconnus comme tels dans leur pays d'origine.

Sur la jaquette de ses premiers livres, Duhamel a souligné les aspects non-conformistes de ces textes, leur façon de lancer un défi à la société et aussi aux conventions du roman policier classique. Il a décrit ce groupe de romans comme étant à l'opposé des mystères à la Sherlock Holmes et il a mis l'accent sur ce que des lecteurs d'aujourd'hui peuvent reconnaitre comme une vision noire du monde: l'immoralité, la sensation, la débauche dans toutes les couches sociales. Pour lui, ces romans ont bouleversé l'image du détective classique, une machine à penser logique et presque surhumaine pour mettre à sa place un individu souvent aussi corrompu que les criminals qu'il poursuivait. Pour lui, en se passant de ces conventions typiques, cettte nouvelle génération de romanciers, nous ont laissé (et je cite) 'de l'action, de l'angoisse, de la violence - sous toutes ses formes et particulièrement les plus honnies - du tabassage et du massacre'.

La Série noire et les romans que Duhamel a choisis de publier ont largement établi le prototype du roman noir en France. Dashiell Hammett, Raymond Chandler, Horace MacCoy, James Cain, Peter Cheyney ont symbolisé le modèle noire pour une première génération de lecteurs français fascinée par les représentations d'une Amérique de violence et d'excès. Mais ces récits noirs venus de l'étranger avaient leur équivalent français meme si ces premiers lecteurs ne s'en apercevaient pas. Parmi les premiers 50 volumes de la Série noire étaient camouflés deux romanciers français qui avaient adoptés des pseudonymes américainisés. Les noms de Terry Stewart et de John Amila cachaient les identités de Serge Arcouet et de Jean Meckert [Meckert a meme joué avec le lecteur en déclarant en première page que ses romans étaient traduits de l'américain]. Ces auteurs avaient adopté le prototype américain mais à lire leurs premiers volumes dans la Série noire, il est évident que ces romanciers faisaient plus que d'imiter leurs confrères américains et britanniques.

Je voudrais ici me concentrer sur les 3 premiers volumes français dans la Série noire: La Mort et l'ange (1948) et La Belle Vie (1950) de Terry Stewart et Y a pas de bon dieu (1950) de John Amila. Pour moi, ils reflètent des préoccupations spécifiquement françaises de l'époque. Pour essayer de faire ressortir ces points de références culturelles et littéraires, je vais les analyser sur deux axes: comme des romans d'action collective et comme des romans contre l'Etat.

Romans d'action collective
Deux des trois romans sont situés dans une Amérique noire aux prises avec la violence et le conflit social. La Belle Vie se passe dans une ville industrialisée anonyme et est centré sur le personnage de Mears Conway, syndicaliste élu qui représente des travailleurs pendant une période de grève prolongée. Y a pas de bon dieu est raconté à travers le personnage de Pasteur Paul Wiseman qui raconte la tragédie du petit village de Mowalla, communauté opposée à la construction d'un barrage qui menace d'innonder leur vallée et de détruire leur village. Mais ces contextes sociaux, l'usine et une communauté en danger, ne sont pas évoqués seulement pour mettre en relief des récits d'un anti-héros solitaire, criminal ou autre. Ils ont une signification plus large; ils donnent à l'auteur l'occasion de construire une intrigue où toute action individuelle à ses repércussions à un niveau collectif. En bref, ils encouragent une vision politique du monde contemporain, un monde où les rapports de force prédominent.

Comme on peut déduire de ces résumés rapides, ni l'un ni l'autre des deux romans n'est axé sur le personnage clé du roman noir, le privé. Stewart et Amila ont choisi de mettre au premier plan un personnage complexe et ambigu qui est intimement lié à l'intrigue au coeur du roman. Ces anti-héroes ne sont pas distanciés de l'action comme est souvent le cas avec le privé mais ils individualisent ce qui est un dilemme collectif. Le personnage du Pasteur Paul Wiseman est bien représentatif de cette tendance. Ancien combattant, le Pasteur Wiseman est la porte-parole du village de Mowalla confronté à la corruption et à l'avarice de grandes entreprises. Il soutient la communauté et fait face aux forces extérieures qui risquent de détruire le village: le pouvoir politique et le capitalisme. Mais sa foi et ses croyances sont testés jusqu'à la limite. Sa vie personnelle est compromise par une liaison amoureuse avec une jeune fille et sa campagne pour empêcher la construction du barrage est sapée par les institutions qui sont censées soutenir la cause des justes; la police et l'église - celles-ci refusent d'aider les gens de Mowalla. La dispute avec les constructeurs du barrage s'empire au cours du roman et aboutit à une lutte jusqu'à la mort où le Pasteur tue un représentatif de la compagnie. Le Pasteur Wiseman, l'homme sage, l'homme censé donner l'exemple à ses adeptes se révèle etre aussi violent que ces adversaires.

Cette image de l'anti-héros victime de ses pulsions intérieures aussi bien que victime des forces extérieures est aussi au centre de La Belle Vie. Mears Conway, encore une fois la porte-parole d'un groupe social, coordonne les actions des travailleurs qui, comme lui, voudraient améliorer leurs conditions de travail et de logement. La grève prolongée se degénère quand ils découvrent que les employeurs veulent les expulser de leur logement et ont projeté de construire à sa place des maisons destinées à des familles aisées. Toutefois, comme Wiseman, les principes et les convictions de Conway se dissipent quand il est confronté à des choix et des dilemmes personnels. Au moment où les travailleurs font face à des forces de l'ordre venues pour les éjecter de leurs appartements, Conway est à bord un avion à destination de la Méxique avec Vanna, la soeur du gérant de l'usine.

Dans ces deux romans, Stewart et Amila nous montrent des personnages clés, des anti-héros, mêlés à des luttes collectives anti-capitalistes. Leurs dilemmes personnelles, leurs démons intérieurs ne sont que le reflet des conflits sociaux et politiques plus larges. Mears Conway et son amante bourgeoise est à l'image des rapports complexes entre un proletariat éveillé et une classe dirigeante soucieuse de son pouvoir. Pasteur Wiseman et son liaison illicite symbolise la perception d'une église et d'une élite qui ne peuvent plus se représenter comme des guides spirituels de la nation. En fait, la vision noire de ces deux romans est colorée par une conscience sociale, un engagement politique explicitement français. On pourrait même dire que ces romans noirs à l'américaine sont en réalité des visions bien françaises qui transposent des angoisses nationales à un contexte américaine pour mieux confronter les enjeux de l'époque: l'impact du capitalisme global américain sur des communautés locales, le pouvoir d'une main d'oeuvre de plus en plus politisée et la possibilité d'effectuer une révolution dans une période de bouleversements sociaux et politiques.

C'est dans le domaine des rapports entre l'individu et l'Etat qu'on peut analyser le dernier roman français de ce groupe, La Mort et l'ange de Terry Stewart. J'ai défini ce texte comme un roman contre l'Etat à cause de sa vision d'une Amérique corrompue sur le plan judiciaire. Ce n'est pas seulement les policiers et les forces de l'ordre qui se révélent les coupables mais bien l'Etat lui-même et surtout en ce qui concerne la pratique de la peine de mort.

Romans contre l'Etat
La Mort et l'ange se passe dans un prison où Ben Zweed, condamné á mort, témoigne de sa vie et de ses crimes à un gardien sympathique, Matt. Celui-ci semble capable de réflechir et de comprendre comment et pourquoi Ben est devenu un tueur à gages. Au cours du roman le lecteur est présenté avec un catalogue de meurtres, de tabassages et de massacres qui nous convainquent de sa criminalité voire de son statut de psychopathe inconditionnel. Mais est-ce que nous pouvons accepter son sort de condamné à mort? Le roman nous encourage à critiquer une telle peine et ceci surtout quand on découvre vers la fin du roman que Matt n'est pas le gardien sympathique que nous l'avons cru. Il a assumé cette identité à des fins plus néfastes; il est en effet un agent de FBI qui fait un rapport pour ses chefs où il analyse le comportement et les justifications des condamnés à mort. Ceci a pour but de comprendre leur état d'esprit, leur mentalité de sorte que les autorités puissant mieux contrôler de tels excès parmi la population américaine. Après avoir apprécié la générosité et l'amitié que Matt a montrées à Ben, le lecteur est confronté au fait que le système pénitentiaire considère ces détenus comme rien de plus que des cobayes dans une expérience sociale.

Dans La Mort et l'Ange, Stewart critique une Amérique qui représentait à l'époque le sauveteur de l'Europe. Après les horreurs de la guerre totale, la découverte des camps de concentration et la génocide des juifs, l'Amérique n'est pas idealisée comme la 'terre promise', la défenseuse des droits de l'homme face au fascisme. En fait, les crimes contre l'humanité commises pendant la deuxième guerre mondiale trouvent leur reflet dans un système judiciaire inhumain et axé sur le contrôle sociale - un monde à la George Orwell où 'Big Brother is watching you' [Et il intéressant à noter que la date de publication de ce grand livre d'Orwell, 1984, est bien 1948, date de publication également de La Mort et l'Ange]. Dans cette vision du monde incarceral les récits d'horreur de Ben ne sont pas une anomalie mais le revers de la médaille d'un ordre social où l'exécution des centaines de détenus ne soulèvent aucune protestation. On peut même penser que Stewart a l'intention de pousser les lecteurs à considérer des parallèles implicites entre le tueur et l'Etat comme des machines de mise à mort.

Ce parallèle entre le tueur en série et ses crimes et des crimes d'Etat est développé dans le récit autour d'une critique directe de la guerre récente. Par l'intermediaire de Ben, Stewart souligne l'absurdité d'un ordre social et politique qui couronne de succès ceux qui tuent en temps de guerre pour la patrie et condament ceux qui commettent des actes similaires en temps de paix. [Ici je vous cite un extrait de l'un des derniers discours de Ben]:
'Tenez il paraît qu'à la guerre on vous oblige à massacrer un tas de types qui vous ont rien fait et que vous ne connaissez même pas. […] Plus vous en tuez et plus vous avez des chances d'obtenir des médailles sur votre uniforme […] Dans la vie ordinaire, tout est différent. T'as tué? Bon, en ben mon salaud t'est mûr pour le grille-pain et on se génera pas pour dire à tout le monde que t'es un criminel et le dernier des salopards' (p. 96). .

La mort de Ben Zweed n'est pas une tragédie dans le contexte de ce roman de Stewart. C'était un homme qui a semé la violence et la mort mais ce qui est bien plus criminel est la manière de sa mort et la culpabilité des institutions d'Etat qui se croient compétents de juger et de prononcer sa mort. Comme dans les romans d'Amila, Stewart crée une vision de la criminalité qui implique des institutions et des pratiques sociales qui sont à la base de la civilization occidentale

Conclusion
En conclusion, à travers l'Amérique noire de ces premiers roman noirs français, on peut noter des sujets bien français qui reviennent: la peur du capitalisme global, un rêve d'action collective mais qui est voué au désastre et une méfiance, voire un dégout, pour l'Etat et son système judiciaire. Pendant les anneées 40, toutes ses préoccupations avaient leur place en France. C'était un pays reconstruit avec l'argent du Marshall Plan et dépendante des investissements américains. Ces romans semblent questionner l'impact de de telles forces économiques sur la société française. C'était aussi un pays où le communisme avait séduit un bon nombre d'intellectuels. Avec le succès électoral des socialistes et communistes français à la fin des années 40, il était à voir si une vision d'une société sans différences de classes allait se produire. Et en dernier, c'était un pays où le passé recent d'occupation, collaboration et résistance avaient marqué les esprits. Comme Ben dans La Mort et l'ange qui se demande comment juger ceux qui ont tué en temps de guerre, la France avait à confronter l'héritage complexe des années noires. Sous la forme du régime de Vichy, l'Etat français était accusé de crimes de guerre, crimes qui allaient à l'encontre des valeurs universelles de liberté, égalité et fraternité, tant vantées en France. Ces romans de Stewart et Amila nous révélent comment ces angoisses se manifestaient dans la culture populaire française. Il n'est peut-etre pas trop outré de lire ces premiers romans noirs, avec leur conscience sociale, comme une forme de littérature engagée, engagée au nom d'un genre qui a depuis donné ses preuves comme non seulement un reflet de la société mais aussi une force critique majeure.


Claire Gorrara
Université de Cardiff, R.U.

Claire Gorrara unterrichtet an der Universität von Cardiff seit 1994. Sie hat ihre Doktorarbeit über französische Schriftstellerinnen und ihre Darstellung des zweiten Weltkriegs geschrieben.


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Tagung vom 21. bis zum
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Inhalt

S. 1 Bericht über die Tagung
Eine Zusammenfassung
Von Matthias Drebber

S. 2 Vom Wende-Krimi zur Krimiwende.
Berlinkrimis der letzten Jahre.
Von Christian Jäger

S. 3 Roman noir : Geschichte und Verbrechen
Von Elfriede Müller

S. 4 Grundzüge einer historischen Gattungsbestimmung der "Kriminalliteratur"
Von Burkhardt Wolf

S. 5 Les Premiers Auteurs français du roman noir
Von Claire Gorrara

S. 6 Krimis in der DDR – Agitprop?
Von Wolfgang Mittmann

S. 7 Regionalkrimis
Von Reinhard Jahn

S. 8 Du Détective privé au détective public.
Von Raphaël Villatte

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